Éric raccrocha le téléphone et soupira sa frustration tout en espérant que son collègue dans la cabine voisine ne le remarquerait pas. Le jeune ingénieur venait juste de sortir de l’université et œuvrait maintenant dans son premier “vrai” emploi – tout un défi pour un jeune gars qui préférait concevoir des tracteurs plutôt que de les conduire des heures de suite!
Personne ne pouvait douter du dévouement au travail de ce jeune homme venant d’une ferme en Alberta, mais Éric avait commencé à douter de lui-même. Il savait très bien comment réparer les portes d’une grange par exemple, alors pourquoi ne pouvait-il donc pas comprendre ce qui ne fonctionait pas avec les portes du nouveau tracteur fabriqué par son employeur? À quoi servait donc cette dispendieuse formation d’ingénieur s’il ne pouvait même pas concevoir un tout simple joint en caoutchouc?
L’appel téléphonique qui bouleversait toutefois l’après-midi d’Éric venait de son patron, une personne paternelle dont la patience s’épuisait maintenant petit à petit. Les concessionnaires de partout dans les Prairies se plaignaient de plus en plus des portes de leurs tracteurs qui coulaient comme une passoire. À leur tour ces concessionnaires blâmaient les représentants des ventes du fabricant de tracteurs qui se tournaient eux-mêmes maintenant vers la direction – et donc le patron d’Éric – pour obtenir des réponses.
Bien sûr, c’était seulement un petit problème de joints de porte, mais même les agriculteurs les plus costauds n’aimaient pas s’asseoir sur un siège mouillé tout au long de la journée pour voir le plancher rouillé. Éric était chanceux que seulement quelques centaines des nouveaux tracteurs aient été expédiés, mais y aurait-il un bulletin de service et ensuite un rappel de produit se demandait-il? Et qu’en était-il de ses propres perspectives de carrière dans une entreprise qui doutait maintenant de ses capacités?
Le son d’une alerte de courriel avait sorti Éric de son inquiétude. Il vérifiait le moniteur de son ordinateur et remarquait quelques communications internes. Il y avait aussi quelques messages qui auraient dû aller dans son Spam – du moins c’est ce qu’il pensait. Il y avait cette compagnie appelée Elasto Proxy qui l’avait contacté quelques fois auparavant. Leurs bulletins parlaient de produits en caoutchouc mais la compagnie d’Éric les avait achetés ailleurs.
De nombreux collègues avaient dit à Éric que “c’était surtout une question de prix”. Le département des achats avait déjà un fournisseur préféré pour les joints, et de toute façon les caoutchoucs noirs n’étaient-ils pas tous identiques? Cependant, Éric n’avait pas obtenu son diplôme parmi les meilleurs de sa classe pour n’appeler qu’un seul numéro et en finir avec ainsi. Il fallait qu’il trouve la réponse.
Le jeune ingénieur avait donc ouvert le bulletin électronique pour en vérifier le contenu. Il lisait quelque chose à propos d’une formule pour la conception de joints lorsqu’il remarquait un acronyme appelé MTAP. Rien de tout cela ne semblait familier avec ce qu’il avait appris durant ses quatre années d’université. En fait, il ne se souvenait pas avoir parlé à qui que ce soit des caractéristiques du caoutchouc.
Son fournisseur actuel de joints voulait juste lui vendre son produit. Cependant, il trouvait qu’il devrait en savoir davantage sur la conception des joints. Et son patron semblait le penser aussi. Tout cela occupait fortement l’esprit d’Éric lorsqu’il se rappelait que son évaluation annuelle s’annonçait. Et comme il savait qu’il se promenait sur de la glace mince il a donc répondu au courriel en se demandant s’il recevrait des nouvelles de quelqu’un.